La nudité de l'esprit.

La nudité de l'esprit.

Je vais vous donner le vertige, moi, c’est promis !

 

 

 

 

 

Le visage flou de la vérité l'éclabousse, la fiction la rassure. Dix huit heures, les six coups de l'horloge de l'église de son village la martèlent. C'est l'heure de la visite quotidienne à son père. Dans un lit quelconque gît ce semblant d'être humain dépourvu d'attrait physique. Cet amas de cellules agonise, morcelé par une pathologie perverse. Le visage défiguré par les morsures de la vie, ses yeux révulsés contemplent le spectacle sordide du corps à corps de la souffrance et de l'angoisse.

Règne dans cette chambre une étrange atmosphère emplie d'hommages audacieux dédiés sans réticence au dernier paysage.

            Dans un soubresaut de lucidité, il tend du bout de ses doigts tremblotants au bourgeon de sa chair une lettre à l'écriture fatiguée. Elle déchiffre ses dernières volontés, ce ne sont pas de simples phrases mais un hymne à la mort.

 

-" En hommage à mes états d'âme je verse des larmes, mes dernières larmes.

Je dédie mes premiers sanglots au dernier souffle de ma vie et mon unique sourire au dernier astre de la nuit.

Je te lègue les sarcasmes de mon cœur en lambeaux car je possède pour toute fortune, des douleurs et des regrets qui guident ma plume.

Je te tendrais ma main sans passeport car ton monde s'abstient de frontière.

Sans tenue de gala, nu je tirerais ma dernière révérence car à tes yeux la luxure n'a aucune noblesse.     

    Sur ma sépulture aucun superflu juste un miroir brisé posé là comme par hasard pour me voiler la face et ne plus apercevoir le reflet du désespoir. "

            Un peu comme une louange il murmure ces quelques mots :

-" Oh vieillesse ! Partition d'une vie froissée, tes notes de musique posées sur papier glacé me bercent.

 

 

 Il voudrait exhumer son père, violer la sépulture familiale, enfouir ses mains dans cette terre fade, granitique, tamiser grain après grain chaque centimètre pour déceler un infime fragment osseux de ses racines. Il veut sentir vibrer sous ses doigts les nobles sentiments tissés par les liens du sang. Il n'a pas eu le temps de savourer la caresse d'une main rêche sur sa joue docile.

            Sa tristesse favorise fébrilement son plongeon dans la source de ses pleurs de nouveau-né au parfum âcre de la sueur terne, couleur anthracite. Il revit tout simplement un instant l'éclosion d'une ancienne nation.

           

    Mineur à la fois vocation et boulet de son père, mais pourquoi invoque-t-il cette passion criminelle, fardeau de l'espoir, effigie du désespoir. Son père trépassa encore plus noir que ces satanés boulets de charbon, enseveli sous des tonnes de ce minerai mais surtout engorgé de désolation. Son souci primordial, ne pas décalquer sur son fils l'image d'une vérité dévastatrice, il convoquera l'artère temporelle pour pourvoir aux besoins affectifs du noyau de ses entrailles. Obnubilé, il s'oriente vers l'irrationnel pour conjurer à l'orientale le mauvais sort. Ses pensées insoumises vagabondent puis s'inclinent devant la plénitude du frêle fruit de sa chair. Le combat fut prude, lui homme stratégique mais novice en psychologie parvint à ses fins. Son fils compère insouciant piétine son calvaire à coup de sourires ravageurs.

 

 Le soleil timide, prisonnier d'une peinture estompée joue à cache-cache derrière les nuages impétueux. Les parents de Lou, évasifs, rêveurs imaginent qu'à l'horizon se profilent des volutes de fumée mystifiant le cycle saisonnier en dessinant des formes translucides, structurées d'images extravagantes et trompeuses. Pendant ce Laps de temps, dans son parc si contraignant, Lou ce petit curieux jette son dévolu sur cette pile de livres rangés soigneusement. Son regard espiègle effeuille tome après tome, les reliures gravées d'un rouge, couleur de tentation. Une idée lui vint à l'esprit, embellir ces ouvrages entassés depuis trop longtemps, recouverts d'une pellicule grisâtre impropre à l'hommage de cet illustre écrivain disparu, châtié par l'incompréhension du haut peuple. Ces belliqueux seigneurs, d'apparence rustre au teint angélique étiquetaient cet auteur d'outrageux personnage. Ces loups vigilants l'incendiaient d'un compliment déshonorant : heureux écrivassier, incinérant ainsi la vérité car ils ne pouvaient assumer la violation de leur médiocrité. Voltaire ce révolutionnaire téméraire, exilé de France à plusieurs reprises éteignit son oriflamme littéraire dans un fracas démentiel.

Une lune, un soleil, des secondes, des minutes, des heures, des jours des mois et le temps brode une écharpe dorée où Lou emmitouflé trottine à petits pas rythmés vers le quatorze mai, ce jour à marquer d'une pierre blanche car Lou a apprivoisé ses deux jambes.

 

 

 

 

 

 

CHAPÎTRE 4

 

            Lou grandit harmonieusement s'accommode de sa personnalité, très spontané il stupéfait bon nombre de personnes. Trop mûr pour un bambin âgé seulement de deux ans, ses allocutions ridiculisent les vocables de ses acolytes fervents serviteurs d'un langage composé de gazouillis. Sous son aspect excessivement lucide, Lou honore un comportement incrédule. Le projet inflexible de ses parents, le laisse froid, sa décision s'avère stricte, il ne côtoiera pas ces sortes de garçonnières embouteillées de femme à caractère trop collant, bichon par- ci, minou par- là, ces mots burlesques lui donnent de l'urticaire.

Il abdique, sa prédilection, errer par vent et par mont, donner libre court à son imagination dans un milieu favorisé. Exaucer son souhait, entrer en maternelle, percer son pantalon, mastiquer à gogo ces boules gluantes puis les coller discrètement sur le trône de cette reine de la baguette. L'apercevoir se crisper, geindre sous la piqûre d'une modique punaise égarée par inadvertance sur sa chaise usagée par le frottement de son fessier sédentaire. A coup de virulents crissements de dents, lui offrir de bon cœur une migraine épouvantable servie sur un plateau d'argent. Apprendre les jurons, partenaires idéals pour une conversation très privée entre copains débraillés. Maman, femme libérée veut travailler, c'est ok mais lui refuse la détention. Un compromis s'impose. Lou s'exclame :

    -" Maman tu fais ta semaine de trente cinq heures, moi je m'éclate dans une cour d'école ".

    Récompensé de tant d'ardeur déployée, Lou se voit octroyer la permission affriolante de se consacrer à la culture générale dans la communauté des gavroches émancipés. Il débutera son entrée dans le système scolaire au terme des vacances estivales. Tous les moyens sont valables pour résister à la pression du temps qui s'éternise et s'éternise encore. Septembre s'installe enfin, Lou trépigne d'impatience, l'auguste jour domine sur son bon sens. Levé à l'aurore, d'une vitalité surprenante, il réveille brutalement papa Romain et maman Lise au son d'un clairon très peu conformiste. Dans toute la maisonnée, sa voix criarde, agressive mugit à en fendre les murs. En l'occurrence, plutôt étourdis que dispos, ses parents s'efforcent de contenir l'excitation de leur chérubin.

Sans parvenir à freiner ses pulsions malsaines, tel un forcené, il tambourine des arguments relativement éloquents :

-" Maman, tu ne vas pas quand même m'envoyer à l'école l'estomac vide ! Papa va démarrer la voiture, sa température avoisine celle d'un igloo ! "

           

 Il ingurgite son bol de céréales, le lait dégouline de sa bouche trop pleine puis se niche dans le pli de son cou. Il accapare le rouleau d'essuie tout, d'un geste incongru arrache un volumineux morceau de papier pour redorer son blason de futur écolier, sa peau souillée narguait sa dignité de parfait gentleman.

    Enfin c'est l'heure de revêtir le costume d'aristocrate du stylo bille, aucun faux plis sur le pantalon de coton, couleur blanc cassé. Toutes les coutures de sa chemise d'une finition parfaite signe le style d'un grand couturier.

            Sa tenue tirée à quatre épingles prouve ses bonnes résolutions, pourtant la mèche balayée ornant son front d'aventurier laisse envisager une rentrée mouvementée. Telle une tornade, il s'engouffre à l'arrière du véhicule heurtant sa tête contre le montant de cette satanée portière. Une bosse assez volumineuse se distingue au milieu de ses cheveux ébouriffés, il n'a pas le temps de s'attarder sur ce détail. La voiture s'arrête piano sur le parking, dans une ambiance de bizutage s'ébruitent les préliminaires d'une journée prometteuse. A petits pas, Lou se dirige grave vers cette grille au ton sournois, il saisit la poignée morcelée de rouille.

Le portail grince, s'ouvre béant sur les portes d'un nouveau paysage peuplé d'images douteuses. Il se languit un court instant sous cette porte cochère puis il franchit son seuil, apostrophé par une voix inconnue, patibulaire. Opiniâtre, il ne répond point à cette parenthèse insipide. Son interlocutrice se rebiffe devant ce refus catégorique d'obtempérer, elle récidive :

-" Bonjour jeune homme ".

Très explicite, Lou rétorque : -" Je me nome Lou Dupont ".

-" Très bien Lou, viens t'asseoir ici au fond de la classe ".

 Le regard très suggestif, ses yeux mitraillent Lou, proie idéale, futur bouc émissaire de ses sauts d'humeur intempestifs.

Lou captif prostré délibère, des phrases tissées en vers de soie et en prose de sang pirouettent dans son subconscient submergé.

Cette salle à l'odeur âcre d'impressions renversées stimule l'appréhension de Lou, sur ses murs métamorphosés en remparts se sculpte l'insatisfaction d'un petit homme désappointé.

Cependant sous ce galbe rébarbatif, sous l'air féroce de cette créature au teint glacé, se dissimulent des rêves indécis, des phases inexplorées, des dettes non affranchies.

Dans son enveloppe charnelle s'est incrusté un cœur scellé.

                       

 

 

Mes ouvrages publiés

 

Collection Classique

Vertige http://www.edilivre.com/vertige.html

Par Rachel Désir

 
Prix de vente public :
  • 9,50 € en livre papier
  • 6,00 € en téléchargement
 

 

 



10/01/2013
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