Clairière.
Dans la garrigue du temps, courbatue et toute menue sous son châle, la vieille dame s’en va au marché, d’un pas empressé, sous le bras une panière d’osier. Á mi-chemin, déjà fatiguée par une marche scabreuse, elle avait emprunté le chemin des chèvres … Autrefois bergère, du haut de ses seize ans elle y avait si souvent piétiné la rocaille de ses pieds ébarbés de corne. Ce sentier avait la renommée d’être maudit, une horde de loups habituée de chair chaude le hantait parfois la nuit … Les jours de pleine lune on croyait entendre hurler le firmament, tant le cruor baignait de rouge les bâtons des bergers. Elle savait si bien mener son troupeau que les gars du hameau l’avaient surnommée Pierrette aux sabots d’or. Soudain elle s’arrête lasse, son regard se pose sur quatre planches vermoulues et quelques vieux boulons rouillés traînant encore sur l’herbe, genèse humide de la rosée du matin de ses quatre vingt dix printemps. L’abcès du cœur suppure, maelström, elle s’assied … Sa main sur son sein gauche, elle tente d’ouvrir ce gros classeur surchargé de factures, pour y dénicher de tendres souvenirs et y caresser, ses premiers chaussons, sa première robe de bal et son voile de veuve … Son ballot d’âme à ses côtés, dernier corail blanc sur la jetée. La canne à l’appui de l’aubépine, buisson ardent de sa jeunesse, elle rêve et elle sourit, d’un sourire orgasme de vie. Ses lèvres tremblotent un peu, dernière parlotte d’un tamis de sable chaud d’une chercheuse d’amant perdu.
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